Quartiers du Nord

C’est dans notre petit studio préféré du quartier Villeray, le Studio Fleur d’asphalte, que nous avons accueilli les membres des comités logement de Saint-Léonard, Villeray, Ahuntsic et Montréal-Nord. Le groupe était exclusivement composé de femmes, alors il était tristement évident que les question d’abus, de harcèlement et d’agression sexuelle seraient à l’avant-plan des échanges. Les femmes nous ont partagé de nombreuses histoires d’intimidation et de droits bafoués, avec une candeur et une générosité désemparente. Plus nous discutons avec les différents groupes, plus nous réalisons que les tactiques employées par les propriétaires pour « faire des affaires » dans le monde du logement résidentiel sont les mêmes: faire appel à un concierge pour se déresponsabiliser, utiliser la peur, la violence, l’intimidation, monter les locataires les un-e-s contre les autres, ignorer les demandes aussi longtemps que possible… On discute aussi des coopératives de logement et des projets rassembleurs, ainsi que de la force collective que les comités logement permettent de bâtir.

Notre présentation improvisée et interactive mettait en scène une émission de cuisine où on présentait la recette parfaite pour rentabiliser son investissement résidentiel, on y présentait notamment l’ingrédient secret: le concierge! Ce dernier reprenait différentes phrases rapportées par les locataires afin d’intimider et de soumettre une locataire qui tentait de se frayer un chemin parmi les mots qui bordaient les couloirs d’un labyrinthe tracé au sol à la craie. La locataire racontait à une amie au téléphone, qu’elle aurait besoin de venir dormir chez elle avec ses enfants, qu’elle ne se sentait pas en sécurité là où elle vivait.

Lors des reprises avec le public, nous avons retravaillé le rapport entre concierge et locataire sous la forme d’un cercle tracé au sol à la craie. Le concierge n’utilisait plus de mots, mais s’exprimait plutôt en gromelots. Il effaçait en grognant de ses grosses bottes les parois du cercle que la locataire s’empressait de retracer. Cette image a beaucoup parlé au public, et nous la conserverons certainement. Merci à tout le monde de leur précieux regard et de leurs partages.

Ex-aequo

La rencontre avec les militant-e-s du groupe Ex-aequo a été particulièrement riche. Nous avons eu l’occasion d’entendre parler de problématiques du logement spécifiques aux personnes vivant avec un handicap. Un des éléments qui est revenu à plusieurs reprises dans nos discussions, c’est le sentiment d’être constamment dépendant-e de l’aide et de la bienveillance des autres. Les membres du groupe ont exprimé avoir besoin d’indépendance. Malheureusement, lorsqu’un logement n’est pas adapté, il est perpétuellement nécessaire de demander à des proches de se mobiliser pour nous apporter de l’aide dans les activités du quotidien. Un enjeu très récurrent est aussi la taille des logements. Il semble que la grande majorité des logements accessibles aux personnes vivant avec un handicap ne soient pas conçus pour des familles.

Pour l’improvisation, qui s’est tenue à Rêvanous, lieu symbolique de ce à quoi on peut aspirer quand on se mobilise collectivement, on a voulu revenir sur cette notion de parcours du combattant aux obstacles sans fin au moyen d’un labyrinthe tracé à la craie. Notre personnage locataire regardaie les gens circuler librement sur la surface asphaltée, alors qu’elle devait se faufiler à travers les étroits corridors de la figure. Nous avons choisi de transposer le handicap comme un grand bac de recyclage sur roulettes. Au fil de nos discussions avec le groupe d’Ex-aequo, nous avions entendu l’envie des personnes qu’on les reconnaisse pour qui elles sont, et elles ne sont pas leur handicap. Le handicap est un élément qu’on porte avec soi, mais qui ne nous définit pas. Aussi, même si cet élément peut sembler lourd et difficile à trainer, voire même quelque chose de laid, il peut être la source de notre force, de notre résiliance, de notre beauté intérieure. Ainsi, du grand bac vert s’échappe une voix éthérée, un chant joyeux qui redonne courage à notre personnage. Le système rigide et discriminatoire, représenté par un homme bourru vêtu d’un manteau militaire, referme systématiquement le couvercle du bac pour étouffer le chant qui en émane. Le bac est gros, il ne passe pas bien dans les couloirs… mais en redessinant le labyrinthe, tout le monde arrive à y circuler.